mercredi 7 mars 2012

DE L'OBELISQUE A LA PLACE DE L'INDEPENDANCE: Dakar, la ville rebelle

(Sud Quotidien 07/03/2012) 
En 1958, à l'occasion de la réception du Général De gaulle à Dakar, après le « Non » de la Guinée au référendum (1) pour l'indépendance des colonies de l'Union française, c'est à la Place Protêt que Valdiodio Ndiaye a prononcé son discours pour le « Oui » du Sénégal à ce projet (2).

Les partisans du « Non », célèbrent encore cet évènement tous les ans, à Dakar. Lieu symbole, l'espace Protêt va changer d'appellation après 1960, pour devenir l'actuelle Place de l'Indépendance.
Le 25 février 1988, le candidat Abdoulaye Wade soutenu par presque toute la jeunesse sénégalaise (dont un certain Talla Sylla à l'époque étudiant au département de Philosophie de l'Université de Dakar et Me El Hadi Diouf, encore un autre étudiant à la faculté de droit de la même université), prononçait un de ses meilleurs discours de campagne, à la place de l'Obélisque.
Contre le pouvoir socialiste, il disait sur cette autre place symbole, «Abdou Diouf ne devrait être qu'une parenthèse pour le Sénégal» après que le président Léopold Sédar Senghor lui ait donné le pouvoir le 31 décembre 1980.
Un Wade exceptionnel d'inspiration, sur une place d'exception, voilà l'image que les lycéens et étudiants de l'époque ont gardé de lui. Cela, jusqu'au moment de ses erreurs et ses excès d'aujourd'hui…Pour dire que chaque ville du monde, même dans la Russie muselée de Poutine, a sa place mythique. Ce qui explique que l'expression démocratique par le vote dans ces grandes agglomérations fait souvent trembler les élus. Troublant ainsi le sommeil de tous, du simple député au président lui-même.
Deux discours. Deux hommes différents au destin contrasté. Deux époques différentes. Deux lieux mythiques d'une ville qui continuent à marquer le cheminement bien tortueux de l'histoire politique du Sénégal par les évènements qui s'y déroulent. Mais aussi et surtout l'histoire d'une démocratie balbutiante à la sénégalaise qui, malheureusement, à chaque fois qu'elle a semblé franchir un cap, revient presque à un bond en arrière de 50 ans. Cela, pour le simple bonheur d'hommes et de femmes politiques qui ne pensent plus, une fois le pouvoir acquis, qu'à eux-mêmes. Qu'à leur camp.
Ah, si ces places pouvaient montrer sur un écran tout ce qu'elles ont pu accueillir comme évènements. Mais, nos sociétés ont peur de la rediffusion de leurs propres images et de leur héros. Ne sont bons que les acteurs du monde. Alors De Gaulle, Valdiodio Ndiaye, Mamadou Dia, Senghor, Abdoulaye Ly, on ne peut les entendre et les voir que sur des chaînes européennes dont Radio France Internationale en l'occurrence.
Du De Gaulle déçu de son passage à Conakry et au bord de la rupture qui arrive à Dakar (en l'absence des deux têtes de l'exécutif que sont Senghor et Mamadou Dia) à Abdoulaye Wade qui envoie sur l'autre place ses chars d'eau, les deux évènements ont ceci de commun que la jeunesse africaine qui manifestait son «Non» voulait exprimer son désir de liberté et de reprise en main de son avenir. Quoi de plus normal.
Demain, une place du 23 juin Espace de vision, de partage d'idées, d'expression d'une certaine opinion, l'Obélisque, visible à la sortie du Boulevard Général De gaulle en venant du centre ville, (Encore De gaulle, oui, son ombre plane aussi ici), est aussi devenue un lieu plus reconnu depuis la naissance du Mouvement du 23 juin devenu aujourd'hui le M23. Mouvement qui a vu naître sur ses flancs le Groupe «Y'en a Marre» et dont le cumul, pour ne pas dire l'association des actions, ont conduit aujourd'hui le président Wade et son camp à un second tour dont ils ont toujours nié la probabilité et l'évidence. Le peuple n'oubliera jamais…
Des places dans le monde, il y en a qui ont gardé un nom pour l'histoire. De la Place de la Bastille chère à la révolution française, à la place Pouchkine (3), lieu de la manifestation qui s'y tenait avant hier lundi, contre la réélection frauduleuse de Vladimir Poutine, à la tête de la Russie, des places ont bâti leur nom pour la lutte contre les injustices.
Et, en essayant de « s'emparer » de la place de l'indépendance que la police et la gendarmerie ont protégé comme s'il défendait un place forte, l'opposition à Wade dans cette présidentielle a su provoquer là où le pouvoir semblait le plus fragile et le plus vulnérable: à savoir le dernier bastion qui menait droit au Palais. Si elle ne l'a pas atteinte à chaque fois, dans les actes, la «guerre» de tranchées qu'elle a menée depuis l'avenue Faidherbe, Georges Pompidou, Carnot, la place Sandaga a fait le tour du monde et va rester gravée dans les pages de la construction démocratique au Sénégal et en Afrique de l'ouest.
Si chaque génération fait sa «guerre» contre les excès d'un pouvoir moribond parce qu'autocratique, si le mélange entre gens d'âge différents, d'horizons divers a permis de se lancer dans cette forme de conquête, c'est parce que cela résulte de tendances nouvelles, de mutations au plan sociétal et de changement que nos dirigeants ont souvent eu du mal à apprécier à leur juste valeur.
La leçon de tout cela, est qu'en Afrique, le pouvoir reste une finalité avant le paradis. Aucun autre pallier ne semble impossible à franchir. Et, conséquence, nos hommes politiques, une fois à la tête des Etats, oublient tout ce qui faisait leur charme. Ainsi, en défendant, contre vents et marées des places qui sont le lieu d'expression même de la démocratie, ils en oublient que le seul pouvoir qui est légitime reste celui du peuple.
Celui des gens qui vont demain, manifester encore quand Wade et compagnie, comme dans un film de fiction, seront eux-mêmes victimes d'injustice et devraient être l'objet d'une vengeance populaire. Les peuples jeunes ont horreur d'injustice et d'où qu'elles viennent, ils la combattront au niveau de ces aires de liberté. Ces places sont là pour nous le rappeler…
Notes de la Page 6
1- Avant de proposer son projet, finalement rendu public le 4 septembre 1958 (date marquant le début de la campagne), De Gaulle avait créé un collège consultatif chargé de la rédaction de la nouvelle Constitution, le Comité consultatif constitutionnel (Ccc), dans lequel siégeaient deux Sénégalais : le député Léopold Sédar Senghor et le sénateur-maire de Dakar, Lamine Guèye.
2-''Dans l'esprit du Général, les résultats du référendum confirmeront, s'il y a Outre-mer, volonté d'indépendance, écrit le quotidien Paris-Dakar dans son édition du 12 août 1958. Si oui, le Gouvernement en tirera toutes les conséquences. Pour lui, les territoires veulent se fédérer avec la France ou ils veulent se détacher d'elle à leurs risques et périls.''
3-La place Pouchkine, autrefois appelée la place de la Passion, d'après le monastère qui s'y trouvait, est une place célèbre du centre historique de Moscou qui reçut son nom actuel en 1937. Elle se trouve sur l'Anneau des boulevards au croisement de la rue Tverskaïa. C'est le lieu de rendez-vous de la jeunesse moscovite à l'ombre de la statue, sculptée en 1880, du célèbre poète Alexandre Pouchkine.


par Mame Aly KONTE

© Copyright Sud Quotidien

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire